EDUCATION : DEUX VOIX POUR LES VOIES PRO

Macron et Mélenchon font de l’enseignement professionnel un axe important de leur projet pour l’éducation. C’est inédit tant le sujet qui concerne pourtant un tiers des lycéens, ne mobilise habituellement pas les opinions. Mais entre le penchant libéral de l’un et égalitaire de l’autre, il y a un monde.

Voilà qui est inhabituel. Dans cette campagne présidentielle, deux candidats de premier plan affichent la voie professionnelle comme un axe majeur de leurs préoccupations en matière d’éducation. Jean-Luc Mélenchon qui fut ministre délégué chargé de ce sujet entre 2000 et 2002, en parle depuis des mois, Emmanuel Macron, lui, l’a symboliquement cité en premier à l’heure d’aborder son programme éducatif lors de sa conférence de presse fleuvve, le 17 mars. Le sujet, loin d’être anecdotique, concerne un tiers des lycéens. Mais il ne déchaîne généralement pas les passions.

La voie professionnelle, « c’est la grande méprisée parce qu’elle accueille des élèves des catégories populaires », lache Paul Vannier, coanimateur du livret éducation chez La France insoumise. « Quand vous parlez de lycée pro, dans l’opinion générale, ça concerne les autres. Les familles qui vont voter sont les familles les plus éduquées. Souvent – pas toujours -, elles n’ont pas leur enfant en lycée pro », analyse quant à lui Pascal Vivier, secrétaire général du Snetaa-FO, syndicat majoritaire chez les profs de cette voie.

Preuve que l’opinion et les médias s’en cognent ? Mélenchon propose de donner 1063 euros par mois aux lycéens professionnels à partir de 16 ans, or  » c’est du même acabit que la proposition d’Hidalgo de doubler les salaires de tous les profs. C’est une annonce qui aurait pu avoir un effet de choc et personne n’en parle, parce que tout le monde s’en fout », résume Pascal Vivier. Le candidat de gauche propose également, pêle-mêle, de construire davantage d’établissements, de rétablir le bac pro en quatre ans (il est passé à trois ans en 2009), de garantir davantage de places pour les lycéens professionnels dans l’enseignement supérieur ou de créer des filières répondant « aux besoins de la bifurcation écologique ». Sur ce dernier point, l’idée de « sortir du plastique », indique « Paul Vannier, en formant des jeunes au bois, au bio, au démentèlement de centrales nucléaires… « Il faut des techniciens capables d’entretenir des éoliennes », illustre-t-il.

Sancturaire préservé

Macron, lui, entend « revoir la carte des formations dans chaque lycée pour mieux tenir compte des besoins des territoires », et accorder une gratification, prise en charge par l’Etat, pour toutes les périodes de stage (dix-huit à vingt-deux semaines sur trois ans). Mais surtout, surtout, développer les liens entre l’école et l’entreprise. Et ça démarrerait dès le collège. Chaque semaine, une « demi-journée avenir » permettrait ainsi de découvrir des savoirs pratiques, manuels et numériques. « L’orientation est toujours une faiblesse du système. ça ne peut pas être du seul ressort des enseignants, il faut s’appuyer sur le monde professionnel, défend l’équipe de campagne de Macron.

Des intervenants extérieurs pourraient ainsi être invités à venir parler de leur métier, les élèves aller visiter des entreprises ou des lycées pro. « Why not » réagit Pascal Vivier, mais sous certaines conditions : « L’école doit rester un sanctuaire préservé de toutes les pressions, y compris économiques. Les collégiens ont entre 11 et 14 ans, ce sont des enfants, donc face à eux, les professionnels ça doit être des enseignants », idéalement de la voie professionnelle. Macron va plus loin : après avoir développé l’apprentissage dans le supérieur (près de 900 000 contrats étaient en cours fin 2021, principalement post-bac contre 478 000 deux ans plus tôt, selon l’Observatoire français des conjonctures économiques), il souhaite faire de même chez les lycéens. S’attirant les foudres de nombre de professeurs du secteur. « On est dans un modèle libéral où la formation professionnelle ne relève plus de l’Education nationale. Le projet pour ces jeunes, ce n’est pas d’en faire des citoyens mais des ouvriers. Les patrons choisiront leurs ouvriers et les feront bosser », prédit Vincent Magne, enseignant de lettres et d’histoire à Troyes.

Sigrid Gérardin, Co secrétaire générale du Snuep-FSU abonde : « L’apprentissage, c’est une formation patronale. On considère donc qu’un tiers de la jeunesse lycéenne doit aller au boulot et se former sur le tas. Qu’un tiers de la jeunesse lycéenne ne doit plus être géré par l’éducation nationale mais par les entreprises. » Fantasme de gauchiste ? Interrogée par nos soins sur l’éventuel projet de Macron de créer un secrétariat d’Etat à la formation professionnelle rattaché au ministère du Travail, duquel dépendraient les lycées professionnels, l’équipe du candidat botte en touche : »Ce ne sont pas des sujets qu’on aborde maintenant. » A rebours de cette approche libérale, Jean-Luc Mélenchon propose de « supprimer » les aides à l’apprentissage versés aux entreprises de manière à privilégier la formation professionnelle sous statut scolaire ».

Handicaps sociaux

Au-delà de l’idéologie, le projet de Macron de développer l’apprentissage est souvent jugé irréaliste. « Les entreprises, quoi que vous leur donniez comme argent, elles ne veulent pas de nos gamins parce qu’ilss sont mineurs et elles veulent des gamins qui soient en capacité de se gérer d’arriver à l’heure, de mettre à distance leurs soucis… Or, ils arrivent avec de lourds handicaps sociaux, mnésiques, certains sont délinquants… » déroule Pascal Vivier. En 2019, tant au niveau CAP que bac pro, un quarts des contrats d’apprentissage étaient interrompus avant leurs terme. du fait de l’entreprise ou du jeune, selon les chiffres de la Dares et de la Depp, les services statistiques des ministères du Travail et de l’Education nationale. La proportion atteint 71% en bac pro Esthétique cosmétique parfumerie. Comment, dès lors croire en un déploiement serein de l’apprentissage chez ces élèves ? L’équipe de campagne d’Emmanuel Macron reconnaît qu’il y a « des efforts à fournir » mais se veut rassurante : »Le lycée professionnel ne va pas devenir un CFA | Centre de formation d’apprentis | géant. Il joue un rôle social qui rest majeur. »

Les pions avancés par Macron depuis cinq ans permettent toutefois de s’interroger. Conséquence de la réforme enclenchée en 2019, « un élève en bac pro cette année n’a plus qu’une heure qu’inze de français et une heure quinze d’histoire par semaine. En huit heures, évaluation comprise, je dois faire la guerre froide, la construction européenne, la décolonisation et le monde après 1990, déplore Vincent Magne. On supprime progressivement tout ce qui fait d’eux des citoyens. On ne va peut-être pas en faire des historiens, mais au moins leur donner les clés de compréhension du monde. On ne devrait les former que dans une vue utilitariste ? « Jean-Luc Mélenchon entend au contraire « renforcer les enseignements généraux dans la voie professionnelle ».

Dès lors, que faire du lycée pro et de ses 650 000 élèves ? Un sonsensus émerge : il est impératif de revoir diplômes et filières et de cesser d’envoyer des hordes d’ados dans des voies tertiaires qui ne leur assureront ni boulot ni études supérieures.

« Se trouver, s’épanouir »

Mais aux candidats qui pensent « besoins des entreprises », métiers en tension » ou « métiers d’avenir » le collectif Une voie pour tous, qui se bat pour une réforme de la voie professionnelle, apporte un autre son de cloche. « ça doit se faire en adéquation avec des réalités d’emploi mais surtout avec les ambitions des élèves. Le but ultime n’est pas forcément de trouver un emploi mais de se trouver, de s’épanouir », défend Dylan Ayissi, fondateur du collectif et ancien élève de fillière professionnelle. La clé ? Ouvrir des fillières dans « tous les secteurs », et permettre ainsi aux lycéens de se projeter dans des domaines aussi variés que le travail social ou l’audiovisuel. « Le lycée professionnel est une machine à reproduction sociale. Ce n’est pas anodin si des métiers pas valorisés sont proposés à des enfants de personnes aux métiers pas valorisés, complète Dylan Atissi. Or ça ne peut pas être valorisé si 90% des élèves sont là par défaut. »

« Les politiques suivies ont contribué au discrédit de la filière »

Pour la sociologue Fabienne Maillard, professeure des universités à Paris-VIII, la voie professionnelle a permis une réel ascension sociale à certains jeunes jusqu’aux années 60, avant de devenir une voie de garage.

Spécialiste de l’enseignement professionnel, la sociologue Fabienne Maillard, preofesseure des universités à paris VIII, revient sur son évolution, depuis sa création dans le but de former des ouvriers-citoyens jusqu’à leurs 16 ans.

Pour quelle raison et dans quel contexte la voie professionnelle a-t-elle été créée ?

Elle est créée çà la fin du XIXe siècle pour répondre à des besoins économiques. Après deux révolutions industrielles, on a besoin d’ouvriers, de contremaîtres, d’employés qualifiés, et il y a de grandes pénuries de main-d’oeuvre qualifiée. C’est aussiune inititiative de l’Etat pour permettre une professionnalisation associée à des savoirs généraux et à une culture générale. Il y a une ambition humaniste de l’Etat pour éviter que seuls les patrons forment la main-d’oeuvre, pour que les futurs travailleurs puissent aussi être des citoyens, pas seulement des producteurs.

Comment a-t-elle évolué ?

Jusque dans les année 60, c’est une voie sélective, malthusienne, dont les diplomés accèdent facilement au marché du travail et peuvent faire de vraies carrières ascendantes – certains sont devenus ingénieurs à l’époque des Trente Glorieuses. Et puis, à la fin des années 50, au début des années 60, elle est intégrée dans le système scolaire, elle perd son autonomie et devient une voie de relégation pour les élèves indésirables de la voie générale. En même temps, elle contribue à la massification de l’enseignement secondaire : les responsables politiques y mettent tous les jeunes qui ont des comportements un peu difficiles, des difficultés scolaires, et qu’il faut maintenir dans la scolarité jusqu’à 16 ans.

Les politiques de tous bords affichent souvent leur volonté d’en faire une « voie d’excellence », Ce sont de belles paroles ?

Toutes les politiques menées contribuent au discrédit de la voie professionnelle depuis très longtemps, Le brevet d’études professionnelles (BEP) a par exemple disparu récemment (l’an passé, ndlr), alors que c’était le diplôme le plus important. Les responsables n’ont pas de politique continue dans la voie professionnelle et l’instrumentalisent dans la gestion des flux scolaires.

La voie professionnelle est-elle en adéquation avec les besoin du marché ?

Les diplômes sont construits avec les partenaires sociaux donc on ne peut pas reprocher au ministère de l’Education nationale la manière dont ils sont conçus. Néanmoins, selon les responsables politiques, la prise en compte des discours des partenaires sociaux est inégale et la question de la gestion des flux (d’élèves) peut supplanter les objectifs de hausse du niveau de qualification. Le moins coûteux pour les régions et l’Etat, c’est le tertiaire (administration, commerce…), donc on y met énormément d’élèves. Mais ce sont des élèves qui n’ont pas forcément choisi d’être là et qui ne sont pas forcément attendus sur le marché du travail. Des tas de jeunes filles sont envoyées en secrétariat parce qu’il n’y avait plus de place dans la formation qu’elles voulaient. Il y a des formations très ambitieuses qui permettent d’accèder à l’emploi facilement, et d’autres moins. C’est très inégale.

Recueilli par E.M. pour Libération

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